jeudi 11 septembre 2014

Père Eugène de Villeurbanne : « Le danger est grand de se confiner dans un traditionalisme de combat »

En 1972, le Père Eugène de Villeurbanne fondait le couvent des capucins de Morgon (Rhône) pour maintenir toute la pureté de la règle franciscaine malmenée par les épreuves de la période conciliaire. Très proche de Mgr Lefebvre, il lui demanda de former et d’ordonner ses futurs prêtres. C’est ainsi que l’archevêque conféra le sacerdoce à quatre d’entre eux entre 1982 et 1986, après les avoir formés à Écône. Adonné à la prière, éloigné du monde, faisant rayonner la charité, le Père Eugène eut le souci, jusqu’à sa mort survenue en 1990, de perpétuer l’esprit du Poverello d’Assise, au cours de la sèche période de l’aggiornamento où certains clercs, rongés par l’activisme et par le mépris de toute tradition, avaient fait du domaine religieux un champ d'action politique et voyaient dans leur prochain un ennemi extrémiste à mépriser et à combattre. En 1982, le Père Eugène se rendait compte que le même danger pouvait un jour s’emparer des rangs de ceux qui avaient pourtant eu le courage de défendre la messe et le catéchisme traditionnels. Grand était le risque de voir au sein du monde catholique une guerre partisane de tranchées où le principal ennemi n’était plus le vieil homme qui sommeille en nous mais le voisin de chapelle qui ne fait pas exactement comme nous. Il mettait en garde contre le péril qui consistait à « se confiner dans un traditionalisme de combat ».

« De tous côtés s’installe la division, se manifestent les colères, de l’orgueil, de l’injustice. Des « traditionalistes » un temps d’accord sur les vérités claires et essentielles de la foi mettent leur honneur à soulever des « problèmes », à raison avoir sur des questions d’importance lointaine pour la vie quotidienne des fidèles. Les intelligences s’estiment traditionalistes mais les cœurs ne le sont plus si jamais ils l’ont été. La charité fraternelle est, elle aussi, une richesse de la Tradition.

« Le danger est grand de se confiner dans un traditionalisme de combat, de concevoir les vérités de la foi comme une occasion de lutte, de coups et de victoire, de considérer la théologie dogmatique comme un arsenal de guerre ou même trop exclusivement comme le moyen de l’illumination de l’intelligence dans l’oubli des yeux du cœur assoiffé d’espérance, avide de goûter les trésors de gloire que renferme l’héritage de Jésus-Christ. Grand est le risque d’accommoder les vérités de Jésus-Christ et les membres de Jésus-Christ à ses propres goûts ; saint Paul nous a appris où cela pouvait conduire.
 
« La présence des fidèles à notre messe traditionnelle n’est pas une finalité, la foi aux vérités dogmatiques ne l’est pas non plus ; ce qui compte c’est la foi qui opère par la charité et conduit à la charité pour Dieu et à la charité fraternelle. Les institutions chrétiennes, la catéchèse, la théologie ne doivent pas seulement conduire les âmes aux portes d’entrée de l’amour surnaturel ; elles doivent faire progresser dans le domaine illimité des ascensions dans les profondeurs et les altitudes de l’amour de Dieu, dans le dulcor charitatis. Nul ne saurait s’y enfoncer s’il est en désaccord avec ses frères. « Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit ne saurait aimer Dieu qu’il ne voit pas ». Entendons saint Paul nous dire « Du moment qu’il y a parmi vous jalousie et discorde, n’êtes-vous pas charnels et votre conduite n’est-elle pas tout humaine ». Un « traditionalisme » qui a perdu la charité est-il encore traditionnel ? »

Cité par le Combat de la Foi
et par Lecture et Tradition, N° 98,
novembre-décembre 1982, pp. 7-8.


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