mercredi 31 juillet 2013

Jean Madiran et Mgr Lefebvre : avant de partir

Jean Madiran s’est éteint le 31 juillet 2013. Il était un témoin privilégié de la vie de Mgr Lefebvre. Grand journaliste ayant couvert l’actualité du concile Vatican II, ayant soutenu corps et âme les débuts d’Écône, il en fut un témoin privilégié. Aussi, quand il fut question d’interroger les témoins de la vie du fondateur de la FSSPX pour réaliser un film documentaire, fut-il immédiatement question d’aller interroger Jean Madiran, l’initiateur d’Itinéraires et de Présent. C’est par Jeanne Smits, directrice de cette revue que j’ai pu joindre par téléphone Jean Madiran et ce dernier m’expliqua rapidement que les caméras et lui faisaient deux, qu’il n’avait jamais répondu à la télévision et que ce n’est pas à son âge – il était déjà nonagénaire – qu’il allait modifier son avis tranché sur ces nouvelles inventions. Je tentais une dernière chance en lui disant que j’allais lui écrire pour lui formuler sur papier ma demande. Sa réponse, sans pour autant ouvrir grand espoir, laissait plus ou moins entendre que je pouvais toujours essayer. Quinze jours plus tard, une très brève lettre de sa part m’indiquait qu’il acceptait finalement la proposition : « Ma réponse est Oui » soulignait-il, tout en me communiquant un numéro de portable et une adresse qui se trouvait à cinq cent mètres de la mienne.

Rares étaient les témoins qui avaient pu entendre Jean Madiran parler de Mgr Lefebvre après 1988, l’année des sacres. Cet épisode crucial avait mis fin à la grande entente entre deux hommes brillants, qui avaient une amitié et une estime réciproques. Puis vint le moment de l’incompréhension, de la rupture et même de la peine. Pour ma part, j’avais sagement rédigé mes questions sur le Concile et les débuts de la Fraternité, évitant bien les sujets qui risquaient de fâcher. Arrivant à son domicile, nous trouvions Jean Madiran aimable, avenant et souriant, alors qu’on nous avait parlé d’un homme au caractère bien trempé. Il nous a laissé déménager tout son salon pour installer la caméra et les spots afin de trouver le bon angle et la bonne lumière. En commençant, son caractère refit surface, il me dit que mes questions ne lui convenaient pas et qu’il choisirait les siennes. Cela commençait bien, me disais-je. Il parla du Concile où il confia que Mgr Lefebvre s’enquit de son expertise, en particulier sur le sujet relatif à la collégialité. Il plancha toute une nuit sur la question à Fontgombault avant que l’archevêque ne parte pour Rome, affermi par les analyses du grand écrivain. Dans les débuts de la Fraternité, il était encore là, veillant au lancement de l’œuvre. Le 21 septembre 1974, lorsque Mgr Lefebvre rédigea sa fameuse déclaration où il affirmait solennellement qu’il adhérait de tout son cœur « à la Rome éternelle » et qu’il refusait par contre « la Rome de tendance néo-moderniste », Jean Madiran était présent à Écône. Son fondateur demanda s’il pouvait expliquer aux séminaristes le sens de ses propos et il s’affranchit si bien de cette tâche qu’à la fin de la leçon, Mgr Lefebvre dit à ces futurs prêtres : Voyez, je n’ai rien à ajouter.


Mais Jean Madiran revenait systématiquement à la question des sacres. Visiblement, il voulait absolument aborder le sujet et il se lança dans un grand développement où il déclara : « Si la Fraternité Saint-Pie X existe encore aujourd’hui, c’est parce que Mgr Lefebvre lui a donné quatre évêques. Ce qui fait qu’elle a le poids qu’elle a, qu’elle est prise par le pape comme un interlocuteur, c’est parce qu’elle a des évêques » Et il poursuivait : « Dans l’Église, être des évêques, ça compte. Et donc, là, le fondateur avait bien fait, en tout cas il avait fait une fondation durable et assuré les conditions pour que son œuvre dure. » Il termina l’entretien en résumant Mgr Lefebvre comme « un fondateur ». On ne pouvait que saluer l’intelligence et l’humilité de cet homme de quatre-vingt dix ans qui avait finalement convoqué les caméras pour solder un compte avec l’histoire, non pour battre sa coulpe mais pour reconnaître le mérite d’un évêque dont on ressentait que des décennies plus tard il l’admirait toujours. Jean Madiran savait pertinemment que ce passage serait retenu. Il l’avait préparé et presque mis en scène. Son petit sourire le manifestait à la fin de l’entretien, bien que je me sois mordu les lèvres pendant qu’il parlait. Ayant eu l’occasion de lui écrire et de lui parler dans les mois qui suivirent, j’avais remarqué que sa pudeur lui évitait de revenir sur la question. Il avait reçu le film et il manifestait sa satisfaction.

Au-delà de ces faits récents, nous ne pouvons aujourd'hui que prier pour l'âme de cette grande figure qui a formé pendant des années les esprits, à travers la revue Itinéraires, à travers la revue Présent, les conduisant à déceler le vrai dans l'amas d'actualités qui foisonnent. Nous pouvons également lui exprimer notre reconnaissance.

J.-R. du Cray

vendredi 26 juillet 2013

Comment comprendre les paroles de Mgr Lefebvre ? L’archevêque répond lui-même

Les citations du fondateur de la Fraternité semblent fuser ici ou là sous l’effet de réactions affectives : l’inquiétude ou la passion. On brandit l’une pour justifier l’idéologie du moment, on saisit là une autre pour asseoir une thèse a posteriori. Que penserait-il lui-même de ceux qui s’emparent de ses propos ? Que dirait-il à ceux qui amassent citation sur citation pour tirer des conclusions qui s’apparentent à des équations mathématiques ? A défaut de pouvoir parler à la place du défunt fondateur de la Fraternité, nous empruntons ses propres mots. De son vivant, il fut confronté à ceux qui utilisaient ses écrits, voulaient y déceler des contradictions ou encore des opportunités pour tirer des conclusions théologiques hâtives et, par conséquent, désordonnées :

« Je ne dis pas que dans les paroles, on ne peut tirer une phrase et puis l’opposer à une autre, la tirer du contexte et, ainsi de suite, me faire dire des choses qui ne sont pas dans mon esprit. J’ai pu quelquefois dire des phrases assez fortes, par exemple que le Concile était plus ou moins schismatique. Dans un certain sens c’est vrai parce qu’il y a une certaine rupture avec la Tradition. Donc dans le sens selon lequel le Concile est en rupture avec la Tradition, on peut dire, dans une certaine mesure, qu’il est schismatique. Mais quand j’ai dit cela, ce n’était pas pour dire que le Concile est vraiment, profondément schismatique, définitivement. Il faut comprendre avec tout ce que je dis. Le Concile est schismatique dans la mesure où il rompt avec le passé, ça c’est vrai. Mais ça ne veut pas dire pour autant qu’il soit schismatique au sens précis, théologique du mot.

« Alors quand on prend les termes comme ça, on peut dire : « Voilà ! Si le Concile est schismatique, le pape ayant signé le Concile est schismatique et tous les évêques qui ont signé le Concile sont schismatiques, donc on n’a plus le droit d’être avec eux. » Ce sont des raisonnements faux. C’est de la folie, ça n’a pas de sens !

« C’est pour ça que je fais paraître dans Cor Unum cet article sur la foi. Je ne sais pas si vous avez lu le commentaire de la vertu de foi par le Père Bernard, commentaire de l’article de saint Thomas d’Aquin. Il prend l’esprit de saint Thomas d’Aquin, où il montre justement l’infidélité chez les fidèles, où il montre que parmi ces fidèles il y a le péril de la foi, qu’il y a beaucoup de fidèles dont on dirait : « Oh ! il n’a plus la foi, c’est un païen, c’est un athée ». Si on veut, dans une certaine mesure, parce que ce sont des gens qui ne pratiquent plus, des gens qui n’éduquent pas chrétiennement leurs enfants, des gens qui ont des raisonnements païens, du monde, matérialistes, tout ce qu’on voudra. Alors on dit : « Ils n’ont plus la foi ! » Est-ce qu’on peut dire vraiment qu’ils n’ont plus la vertu de foi ? C’est autre chose ne plus avoir l’esprit de foi, ne plus pratiquer sa foi, et ne plus avoir la foi, ce sont des formules différentes. C’est dangereux d’appliquer tout de suite ces choses-là, parce que par le baptême ils gardent la vertu de foi. Ils ont la vertu de foi, mais ils ne la mettent pas en exercice, ils ne la pratiquent pas. Ça c’est autre chose. »

(Mgr Marcel Lefebvre, retraite sacerdotale, 1980)

samedi 20 juillet 2013

Mgr Lefebvre : ne jugeons pas avec passion et orgueil

« Le pape Pie IX condamnait les catholiques libéraux. Il a même eu cette phrase terrible : « les catholiques libéraux sont les pires ennemis de l'Église ». Que pouvait-il dire de plus ?
Toutefois, il n'a pas dit: tous les catholiques libéraux sont excommuniés, sont hors de l'Église et il faut leur refuser la communion. Non, il considérait ces hommes comme « les pires ennemis de l'Église » et cependant il ne les a pas excommuniés.
Le saint pape Pie X, dans son Encyclique Pascendi Dominici Gregis, a porté un jugement aussi sévère sur le modernisme le qualifiant de « rendez-vous de toutes les hérésies ». Je ne sais pas s'il est possible de porter un jugement plus sévère pour condamner un mouvement ! Mais, il n'a pas dit que tous les modernistes seraient désormais excommuniés, hors de l'Église et qu'il fallait leur refuser la communion. Il en a condamné quelques-uns.
Aussi je pense, que comme ces deux papes, nous devons les juger sévèrement, mais pas nécessairement en les considérant comme étant hors de l'Église. C'est pourquoi je ne veux pas suivre les « sédévacantistes » qui disent : ce sont des modernistes ; le modernisme est le carrefour des hérésies ; donc les modernistes sont hérétiques ; donc ils ne sont plus dans la communion de l'Église : donc il n'y a plus de pape...
On ne peut pas formuler un jugement d'une logique aussi implacable. Il y a dans cette manière de juger de la passion et un peu d'orgueil. Jugeons ces hommes et leurs erreurs ainsi que les papes eux-mêmes l'ont fait. »

Fideliter N°57, mai-juin 1987

vendredi 12 juillet 2013

« Je crois en la sainteté de Madame Lefebvre »

12 juillet 1938 – 12 juillet 2013

Madame René LEFEBVRE
née Gabrielle WATINE
1880 - 1938
Non, il ne s’agit pas pour nous de canoniser tout ce qui se rapproche de près ou de loin du fondateur de la Fraternité Saint-Pie X. Cette phrase concernant Gabrielle Watine, la mère de Monseigneur Marcel Lefebvre, ne peut pas être soupçonnée de reconstituer un univers arrangé a posteriori. Elle a été prononcée et même écrite à une époque où le jeune vicaire apostolique de Dakar, venant d’être sacré à l’âge de quarante-deux ans, était un prélat parfaitement inconnu dans le monde et même en France.

Il se trouve qu’à la même époque, à des milliers de kilomètres du Sénégal où le jeune prélat déployait son apostolat, le directeur spirituel de sa mère, le Révérend Père montfortain Louis Le Crom, décida de rédiger et de publier la vie de sa protégée, tant il en avait été édifié : 

« Si j’ai accepté de présenter cette esquisse biographique, écrite d’après les témoignages directs et irrécusables, c’est que je crois en la sainteté de Madame Lefebvre. Certes, nous ne devons pas préjuger des décisions de l’Église, mais, en pleine soumission à son autorité, ne nous est-il pas permis d’exprimer nos sentiments d’admiration pour des âmes qui semblent avoir réalisé l’idéal de la perfection chrétienne ? »

Gabrielle Watine était la quatrième des sept enfants d’un foyer de filateurs de Roubaix qui ne compta pas moins de dix vocations à la génération des petits-enfants. Très fervente, elle se rendait chaque jour à la messe avec son mari, René Lefebvre, et deux fois par an, ils traversaient la France pour se rendre à Lourdes, accompagnés de leurs enfants. Devenue la supérieure du tiers-ordre de saint François, elle développa une vie intérieure qui frappait son entourage :

« J’ai eu bien fréquemment l’occasion d’assister à la messe non loin de Madame Lefebvre – rapporte une paroissienne de Notre-Dame de Tourcoing – et j’ai été fort édifiée de sa piété et de son recueillement, surtout après la sainte communion ; on la sentait tellement absorbée en Dieu que ce n’est pas une distraction de la regarder, c’était un appel à la sainteté qu’elle diffusait à son insu autour d’elle ».

Elle se fit également remarquer dans l’adversité. Au cours de la Première Guerre mondiale, elle fut incarcérée à la mairie par les Allemands parce qu’elle ne consentait pas, en absence de son mari, à loger l’ennemi dans la maison paternelle. Après le conflit, alors que l’industrie textile était touchée par une grave crise économique, elle s’appliqua à tenir les comptes de l’usine que dirigeait son époux, sans pour autant négliger les devoirs familiaux. Sa force, elle la trouvait dans une inébranlable confiance en Dieu dont elle témoignait par exemple dans ces lignes qu’elle adressait un jour à l’une de ses filles :

« J’aime à me figurer, en pensant à toi, une enfant qui se trouve complètement entre les mains de Dieu et toute disposée à se mettre à l’heure de la Providence. C’est ainsi que je te recevrai joyeusement, n’ayant d’autres désirs que ceux que le bon Dieu aura pour toi ».

Ses nombreux écrits témoignent par ailleurs d’une profonde intimité avec son Créateur :

« Mon bon Maître, je n’ai qu’un désir : c’est de te voir régner en cet être que tu m’as donné, et toujours de plus en plus ; que ce souffle de mon âme qui est une portion de Dieu, reste pur d’une pureté divine, et que mon corps par lui soit animé d’une vie toute céleste ».

Clouée prématurément sur son lit de mort par une maladie aussi douloureuse que rapide, entourée de ses trois derniers, elle s’adressa à ses autres enfants, entrés en religion et dispersés aux quatre coins du monde :

« A mes cinq aînés : merci de m’avoir donné tant de consolations. Je vous demande de continuer à prier pour moi. Là-haut, je vous serai plus présente encore que sur la terre. Je vous aiderai. »

Gabrielle Watine a été rappelée à Dieu il y a tout juste soixante-quinze ans, le 12 juillet 1938 et son corps repose toujours au cimetière de Tourcoing. Resté veuf, René Lefebvre songea à entrer dans une abbaye bénédictine mais avant de conclure son dessein, il fut arrêté par la Gestapo et envoyé au camp nazi de Sonnenbourg. Avant d’y trouver la mort, il témoignait encore auprès de ses codétenus des vertus de sa défunte épouse.

Tous ces extraits sont issus du livre Une mère de famille, Madame Gabrielle Lefebvre écrit par le R.P. Louis Le Crom en 1948 et réédité par les éditions Marchons Droit, sises à Notre-Dame du Pointet, BP 4, 03110 Broût-Vernet.

dimanche 7 juillet 2013

Mgr Lefebvre : On va diviser la Fraternité et la vie deviendra impossible

« Ce n’est pas parce que quelqu’un est libéral qu’il est nécessairement hérétique. Vous savez, le libéralisme, c’est toute une gamme… Le libéralisme qui est un péché, le libéralisme fondamental, radical, oui, c’est certainement une hérésie. Mais après, vous avez le libéralisme des tièdes. Il y a des nuances, beaucoup de nuances, jusqu’au moment où il y a une teinte de libéralisme. Mais dire, sous prétexte qu’il y a une teinte de libéralisme : “ Celui-là est hérétique ! comme celui qui a les principes libéraux des philosophes du XVIIIe siècle qui sont des hérétiques ! ” Il y a tout de même une différence…

« Sachons voir les choses en étant réalistes ! Et ne pas tout de suite dire, parce qu’un bon catholique que vous connaissez, un homme qui a la foi comme vous l’avez, a eu le malheur de vous énoncer une phrase qui est un peu ambiguë – il s’est sans doute trompé ou il a mal exprimé son sentiment : – “ Oh ! celui-là, c’est un libéral, c’est un hérétique, il est probablement franc-maçon ! ” Mais c’est cela immédiatement ! C’est effrayant cet esprit-là !

« Alors il faut que l’on fasse très attention. Je n’ai pas la prétention d’être infaillible, j’essaie de me battre dans les circonstances dans lesquelles on se trouve, dans la génération dans laquelle on se trouve avec toute la foi qu’on essaie d’avoir, et toute la foi qu’on peut avoir, et la prière et le secours de la grâce. Je compte sur le Bon Dieu évidemment. Je n’ai pas, encore une fois, la prétention d’être infaillible, mais je pense tout de même qu’il y a une ligne de réalisme qui est tenue par la Fraternité d’une manière générale et de laquelle il ne faut pas sortir et dont il ne faut pas s’éloigner, sinon on va diviser la Fraternité et la vie deviendra impossible.

« Il faut aussi accepter qu’il y ait des nuances. Nous ne pouvons pas être tous absolument calqués sur le même modèle. Donc il faut avoir une certaine tolérance, je dirais, de ses confrères, de ses amis, de ceux avec lesquels on vit, pourvu que nous ayons les mêmes principes fondamentaux. Qu’il y ait quelques nuances, qu’il y en ait qui soient plutôt tentés d’être  plus stricts, plus raides, c’est possible. Dans toutes les spiritualités, vous avez la spiritualité générale qui vous est donnée ; ensuite, vous avez, chacun, votre pratique de spiritualité que vous aimez mieux, les saints que vous préférez, les patrons que vous préférez. Enfin, chacun a un petit peu ses nuances, forcément. Donc il faut savoir se supporter mutuellement quand il n’y a pas vraiment de choses graves. Mais ne venons pas apporter un esprit intolérant, un esprit qui devient absolument impossible, qui n’est plus sacerdotal et même plus chrétien ! »

Conférence aux séminaristes, Écône, 16 janvier 1979